Texte N°4 par Robin O. GREENBULL

Publié le 30 Avril 2013

«Rêvalité»

Mes pieds foulent ce sable Haïtien, je regarde la mer bleue à perte de vue, ce décor de carte postale est magnifique, c’est mon pays...

Une impression étrange et désagréable titille mon cœur et mon cerveau, un sentiment de déjà vu, d’avoir déjà enduré ce malheur...

Je me retourne, et...

Biiiiip, Biiiiip, Biiiiip, Biiiiip...

Non, c’est ce satané réveil qui sonne, fin de ce délicieux rêve, j’ai encore dans l’esprit embrumé la musique du ressac de la mer, l’onctuosité du sable fin sous mes pieds, et cette boule étrange dans la gorge, mais ce n’était qu’un rêve.

La plage, la mer, le soleil, je m’imaginais déjà entouré de ces divines créatures en paréos avec fleurs chatoyantes dans les cheveux...

Non ça c’est Tahiti, mon rêve était à Haïti!

Haïti, ne serait-ce pas ce pays qui a été ravagé par des catastrophes naturelles? Il n’y a pas de vahinés à Haïti!

Et ce drôle de signe cabalistique qui me trotte dans la tête? Je griffonne quelques traits sur un papier, cela ressemble à une croix décorée d’une canne avec des fioritures, je regarderai sa définition sur internet plus tard.

Un nom, plutôt un pseudo me revient à l’esprit «Legba...» «Papa Legba», ça fait vraiment carte postale vaudouesque, quelle étrange chose que les rêves!

Bon ce n’est pas de tout ça, il faut se lever : aujourd’hui grosse journée de travail, visite de chantier et rendez-vous déjeuner avec mon vieil ami Jo.

Un grand black, qui mange comme quatre, il faudrait que je lui demande la signification de ce rêve.

Il est vrai qu’il ne me parle jamais de son pays. Toujours discret sur le sujet.

Et chaque fois que j’évoque ce dernier, il élude ma question et un voile de tristesse lui embrume les yeux.

Je crois bien que c’est lui qui m’a parlé d’Haïti il y a quelques années, des catastrophes, cyclones, tremblements de terre, maladies ou d’autres choses terribles.

Je le vois bien en grand sorcier vaudou, ce sacré Jo, toujours de bonne humeur et aussi grand spécialiste du ti-punch qui réchauffe les cœurs et les âmes.

Une douche vite fait, mon petit déjeuner avalé, me voilà parti.

Il fait un superbe soleil en cette matinée de printemps, il fait beau, les oiseaux chantent, la chaleur me caresse le visage. C’est très agréable, voilà une journée qui commence bien, comme je les aime.

Arrivé à l’entrée du chantier, grilles fermées, rien de plus normal, mais personne à l’entrée.

Je me prépare à klaxonner, mon regard est alors attiré par une affiche qui se trouve sur la fenêtre de la cahute du gardien.

« Tout Zanmi Ayiti »

Vivre ou survivre à Haïti

Conférence-débat

par Charles LEGBA

Avec un graphisme étonnamment ressemblant avec mon dessin griffonné de ce matin!

Surprenant, me dis-je assez troublé par cette similitude avec mon rêve. Serait-ce encore un tour de mon esprit, un avertissement? N’importe quoi! Je m’égare?

Mais non bien sûr, je sens, je respire...

Mais la vie est faite de coïncidences, et ma journée ne fait que commencer.

Toujours pas de gardien, je me décide à faire usage de mon avertisseur sonore.

Chose étrange ce dernier me fait un Biiiiip des plus glacials.

Biiiiip, Biiiiip, Biiiiip, Biiiiip, toujours ce même son, il va falloir amener ma voiture chez le garagiste.

Un nuage passe dans cette journée radieuse.

Enfin le gardien m’ouvre la grille et ma réunion de chantier se passe sans aucune anicroche.

Le soleil est revenu, les bourgeons naissants annoncent un retour à la vie, j’aime le printemps, ses couleurs, ses parfums, ces jupes qui raccourcissent... Un sourire de bonheur se glisse sur mes lèvres.

Et maintenant direction mon ami Jo et sa bonne humeur, quelle belle journée!

Toujours aussi enjoué, ce sacré Jo m’accueille à bras ouverts et m’embrasse comme un frère. Je suis heureux de cette complicité.

Nous passons commande, et devant un petit apéritif, je lui raconte mon rêve étrange, ainsi que l’événement à l’entrée du chantier.

Je le vois pâlir, chose inhabituelle pour quelqu’un à la peau ébène. Et surtout lui qui n’est qu’allégresse et joie de vivre.

Et là de but en blanc, comme un pet sur une toile cirée, il me raconte l’histoire de "Papa LEGBA".

— Papa Legba, me susurre t-il, garde la frontière entre le monde des humains et le monde surnaturel. C’est pourquoi on le dit présent à l’entrée des temples aux barrières et aux carrefours. Aucune cérémonie ne peut commencer sans qu’une prière ne lui ait été adressée pour qu’il consente à ouvrir la barrière aux dieux. C’est un dieu vaudou très puissant, et rêver de Papa Legba n’est jamais un bon présage, mon ami.

— Balivernes, billevesées, calembredaines, fadaises, fariboles, niaiseries, sornettes (oui j’ai mangé un dico de synonymes). Sauf ton respect, mon cher Jo, que j’aime et que j’adore, je ne suis absolument pas fan de tes histoires. De plus je suis trop cartésien pour croire à tout ça.

Dis tout de suite que je suis marqué par la malédiction d’un quelconque sorcier vaudou, en quête d’un petit blanc à croquer!!!

Sur ces dernières paroles un peu légères, de faibles picotements commencent à irriter mon avant-bras puis mon corps.

De plus en plus présents ces derniers entreprennent de m’enfoncer leurs dards comme des abeilles en furies.

L’offensive de ces monstres, me transperce le corps, je voudrais crier ma souffrance, mais que m’arrive t’il?

Mon corps n’est plus qu’un appel à l’aide, il hurle de douleur, de mes yeux mi-clos troublés par les larmes du mal qui me submerge, je vois mon ami Jo qui, impuissant me tend une main secourable que je n’arrive pas à prendre...

Puis le trou noir.

Biiiiip... Biiiiip... Biiiiip... Biiiiip...? Étrange, ce n’est pas le «bip» habituel de mon réveil, est-ce que je rêve encore?

J’ouvre les yeux et tout est noir, mais est-ce que je les ouvre?

Et cette odeur bien réelle, comme un médicament, non, un effluve d’hôpital.

Un ressenti froid et solitaire, un remugle de la faucheuse, je sens son souffle putride dans mes narines.

Et mes yeux qui refusent de s’ouvrir, et ce Biiiiip... lancinant qui me vrille la tête.

Des sons m’entourent, de plus en plus précis, quelqu’un pleure à chaudes larmes, je ressens sa tristesse, une autre voix grave et accablée chuchote des paroles qui se veulent apaisantes :

— C’est l’heure Monsieur Jo, il n’y a plus rien à faire, c’est la fin, il ne vit que par les machines, les meurtrissures dues au tremblement de terre sont irréversibles, il ne se réveillera jamais, désolé, c’est mieux pour lui...

Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip

Je me réveille, je me sens bien, libre, je vole, j’ouvre les yeux et je me vois allongé sur ce lit d’hôpital, je ne suis pas beau à voir, c’est à peine si je me reconnais. Je suis bardé d’aiguilles dans tout le corps, les machines se sont tues.

Je suis bien, je suis libre, je me rendors...

Vais-je rêver?

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Rédigé par tout zanmi Ayiti

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U
J'adoooore et pour cause, voilà que ça prend une autre tournure...
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