Texte N°2 par Stanislas PETROSKY

Publié le 15 Avril 2013

"Moi, le salaud…"

Mes pieds foulent ce sable Haïtien, je regarde la mer bleue à perte de vue, ce décor de carte postale est magnifique, c'est mon pays...

Une impression étrange et désagréable titille mon cœur et mon cerveau, un sentiment de déjà vu, d'avoir déjà enduré ce malheur...

Je me retourne, et je suis là, enfermé derrière ces barreaux, seul dans ma cellule. Privé de liberté, mon seul moyen de me sentir quelque peu libre c’est de regarder à travers la meurtrière qui sert de fenêtre et je vois l’océan, j’imagine la chaleur de l’eau, je me souviens de la caresse des vagues sur ma peau, et je pleure.

Cela fait maintenant plus de trente longues années que je croupis derrière ces barreaux, j’ai vu mon pays sombrer dans le chaos. J’ai senti les murs de ma cellule trembler dans la nuit du douze janvier deux-mille-dix, j’ai tout d’abord eu peur de mourir, puis je me suis dit que c’était peut-être pour moi une chance de retrouver la liberté, de ne plus être enfermé!

Une partie de la prison s’est effondrée, des détenus ont réussi à s’enfuir, mais moi, je n’ai pas eu cette chance, aucune fissure dans les murs, pas un seul barreau de descellé… Même les éléments déchaînés sur mon pays veulent me faire payer mes fautes. Pendant trois jours on ne m’a pas amené ni à manger, ni à boire, j’ai cru mourir, lorsque le maton est venu me jeter ma pitance, je lui ai dit que je mourrai de soif, il m’a juste répondu que cette mort serait encore trop douce pour une ordure comme moi.

Le tremblement de terre a ravagé Haïti, je n’y suis pour rien, pour une fois ce n’est pas moi qui aie plongé mon pays dans les affres de l’horreur, cette fois-ci, les gardiens ne pourront pas me tenir responsable. Quand en décembre j’ai su qu’il y avait une épidémie de choléra, j’ai eu d’un côté peur de choper cette saloperie, puis d’un autre, je me disais qu’au moins, je serai débarrassé, il me reste encore tant d’années à passer en ces lieux, mais je n’ai même pas une l’ombre d’une petite diarrhée, les mauvaises herbes sont les plus résistantes. C’est long l’enfermement, surtout vers la fin… Voilà maintenant plus de trente longues années que je suis là, que je réfléchis à mes actes des années mille-neuf-cent-quatre-vingt.

Je dois avouer que même si maintenant j’ai honte de moi, de ce que j’ai fait, ce fut une époque bénie. J’avais l’argent, les femmes, un peu de pouvoir, bien sûr pour arriver à tout cela j’ai commis des exactions, des actes ignobles, j’ai torturé, tué, pillé, violé… J’étais un tonton Macoute, j’agissais sous les ordres de Baby Doc, j’ai participé aux escadrons de la mort, j’étais présent lors des massacres que l’on appelé "les vêpres jérémiennes" c’était en août mille-neuf-cent-soixante-quatre, je n’avais même pas dix ans, c’était la première fois que je donnais la mort, plus de vingt-cinq personnes ont été tuées, dans des circonstances que vous qualifieriez d’horribles, et vous auriez bien raison. Je fis preuve d’une grande bravoure et aussi d’une grande cruauté, Duvalier en personne m’a félicité, puis il m’a pris dans sa garde rapprochée. J’ai passé ainsi trente-deux années aux côtés du tyran d’Haïti, j’étais presque un de ses amis, il m’aimait beaucoup, je l’ai même aidé à fuir. Mais moi, malheureusement j’ai été interpellé, jugé et emprisonné. Lorsque le verdict est tombé : Perpétuité, le juge m’a dit que c’était mieux, beaucoup mieux que la peine capitale, car à trente-neuf ans il me restait certainement plus de trente années à vivre enfermé dans neuf mètres carrés, trente années à réfléchir à mes actes, trente années à suivre l’évolution de mon pays, à le voir essayer de se relever…

Ce juge avait raison, les premiers temps je m’en foutais complètement, je ne regrettais qu’une chose, que cela soit fini, que je ne puisse plus abuser d’une femme qui me plaisait, que je ne puisse plus tuer un mulâtre qui aurai eu l’audace de me regarder de travers, mais en aucun cas je n’avais de remord d’aucuns de mes actes, j’en étais fier, j’étais un guerrier!

J’ai longtemps pensé et j’étais intimement convaincu que mes idées, celles de Baby Doc, celles que je défendais, étaient les bonnes. Que pour le bien d’Haïti il fallait cela, que le pouvoir ne s’acquiert qu’avec la politique de la terreur. Les droits de l’homme, je me torchais avec, j’en avais rien à foutre, juste une seule loi, celle du plus fort.

Mais le temps qui passe assagit l’homme, depuis plus d’une décennie je ne dors plus, ou alors lorsque je m’endors, je sombre dans des cauchemars terrifiants, où mes victimes viennent me pourchasser, se venger. La honte a commencé à me ronger de l’intérieur, tel un cancer tissant sa toile de métastases, pas un moment, pas une seconde ma vie ne se déroule sans que des images sanguinolentes ne passent devant mes yeux. Je vomis souvent, j’ai perdu plus de vingt-cinq kilos, parfois je me sens comme possédé, comme si tous les fantômes de ces innocents que j’ai massacré, venait me hanter. Pas un seul jour sans qu’un visage exprimant, la peur, la douleur traverse mon esprit. Je me suis même rendu compte, il y a peu de temps, qu’à l’âge de soixante-six ans, je n’ai jamais aimé une femme, que jamais je n’ai fait l’amour, toutes, sans aucune exception, je les ai possédées sous les coups et la contrainte, toutes, je les ai violées.

Dix ans que je supporte cela, c’est peu me direz-vous en comparaison de ce que j’ai commis, je le sais, et je ne cherche pas à me faire plaindre, loin de là. Si je vous écris tout ceci sur ce cahier, ce n’est en aucun cas pour chercher le pardon, c’est juste pour vous dire que j’ai compris que l’homme ne doit pas être un loup pour l’homme. J’ai tout couché sur le papier pour que ce témoignage serve, qu’il soit montré, lu et étudié dans les écoles, afin que des gamins, comme celui que j’étais dans les années soixante, ne tournent pas aussi mal que moi, pour que des gosses perdus, sous mauvaise influence ne deviennent pas des salauds, car que suis-je d’autre qu’un salaud de la pire espèce?

L’homme peut-être bon, si les Duvalier n’avaient pas régné tels des despotes monstrueux sur cette île magnifique des Caraïbes, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Et oui maintenant je sais que l’homme est bon, car j’en ai la preuve en ce jour de deux-mille-treize, trois longues années après le tremblement de terre, l’aide internationale est toujours là, elle essaye toujours comme elle peut d’aider le pays à se relever. Comble de l’ironie, j’écris cette partie de ma vie sur un cahier qui a été donné par une association caritative, même à une ordure comme moi, ils donnent quelque chose.

Si vous venez de me lire, c’est que le gardien a trouvé mon corps pendu dans ma cellule, j’ai tressé ma chemise et je l’ai coincé en hauteur, j’ai trouvé la force, d’un coup de talon, de virer le tabouret qui supportait mon poids, suis-je mort par asphyxie ou bien mes cervicales ont-elles été rompues ? Peu importe, je suis mort un point c’est tout, et c’est un bienfait pour l’humanité. Moi le salaud, je n’ai même pas eu le courage de supporter le châtiment des hommes, mais je m’en vais affronter celui de Dieu… Mais auparavant, à travers les barreaux de ma cellule, je regarde la mer bleue à perte de vue, ce décor de carte postale est magnifique, c'est mon pays...

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Rédigé par tout zanmi Ayiti

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F
Bravo pour le courage d'avoir osé aborder cette facette d'Haïti qu'on voudrait oublier. Le texte se lit et coule avec finesse, la fin est inatendue, j'aime ce revirement. La vie sort vainqueur heureusement.
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B
C'est divin, ça m'a presque arraché une larme (mais je suis un gars) non pas par compassion avec le prisonnier, mais par l'écriture, comme quoi l'homme est une sale race pleine de ressource et d'amour... quand elle le trouve.
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